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St Tube 93
@lex (Adresse IP journalisée) - dim. 24 février 2002 21:37:26

<HTML>St Tube 93

L'été 1993 commence bien : j'ai conquis mon diplôme d'
ingénieur à la sueur de mon front ennuyé et j'ai un plan
pour partir en coopération à l'étranger en septembre. Mieux
encore, j'ai 2 bons mois devant moi et suffisamment d'argent
gagné comme stagiaire pour les occuper de manière
intéressante. Bien entendu je ne peux pas m'empêcher d'en
claquer rapidement une bonne partie en me perdant dans l'
exubérante scène perrosienne du début de l'été (Perros
Guirec, Côtes d'Armor : 8000 âmes l'hiver, 60000 l'été, ses
plages, ses bars et son crachin). J'établis mes quartiers
dans les troquets et les boîtes de la côte qui regorgent de
touristes hollandaises, parisiennes ou anglaises, toutes
plus intéressantes les unes que les autres. Je vis de 16h à
8h00, j'en profite beaucoup, puis un peu trop, et la
saturation guette mon organisme et mon esprit. L'idée de ce
trip vers le sud dont on parle depuis longtemps avec Alan me
démange de plus en plus. Envie de prendre la route, de me
vautrer au soleil après avoir surfé de vraies vagues, lassé
de ces infâmes daubes estivales qui viennent finir leur
courte vie, exténuées, sur les rivages embrumés du nord de
la Bretagne.
Direction le Portugal fin Juillet.
Alan et moi mettons les planches sur le toit de sa vieille
Polo, et avant de retrouver deux potes à Hossegor (qui
viennent de Nîmes en 4L) pour tracer en convoi vers l'
Espagne et le Portugal en suivant la côte, nous faisons un
petit détour vers un moulin du Limousin à l'occasion d'un
quadruple anniversaire.
La fête et le trip qui s'en suivit mériteraient plusieurs
pages à eux seuls, je me limiterai à vous signaler que ce
voyage remplit toutes ses promesses de sorties, de galères
et de vagues, avec en particulier pour Alan et moi le
souvenir inoubliable d'une session magnifiquement
inquiétante à 2 dans un Buarcos 3 mètres parfait.
Non, ce dont je veux vous parler c'est de mon retour un peu
précipité début septembre en Bretagne avec l'espoir déçu de
débuter ma coopération qui, on me l'apprend, est retardée de
plusieurs mois. Du coup j'ai du temps devant moi, mais
presque plus d'argent. Un quatre septembre triste comme la
pluie : mes 22 ans arrosés à la Jenlain avec Alan, Blaise et
Franck devant un porno qui n'intéresse personne. Je déprime
vaguement, d'autant que ma relation avec une charmante jeune
fille de Crozon finit par m'endetter puis tourner en eau de
boudin.
Et le surf est zéro.
Alan glande chez lui à Perros, il attend sa rentrée
d'étudiant en Octobre à Paris, mais grâce à lui et plus
particulièrement à sa mère, les choses vont prendre une
toute autre tournure.
Les parents d'Alan ont une maison de rêve au bout du
Finistère, une petite maison de pêcheurs au confort
rudimentaire, posée seule sur une dune face à l'océan. Les
persiennes de ce genre de maison souffrent énormément de
l'eau et du sel, et on se voit proposer par la mère d'Alan
un contrat pour leur réfection. Le deal c'est décapage
ponçage peinture et traitement des ferrures en échange du
gîte et couvert pendant la durée des travaux. Rien que
l'idée d'aller se changer les idées au grand air dans un tel
cadre paraît stimulante, mais je dois maintenant vous
préciser une chose somme toutes assez importante : cette
maison est située face à un des meilleurs beach breaks de
Bretagne.
C'est sur ce spot qu'Alan a appris à surfer et c'est la
raison pour laquelle il surclasse la scène surf perrosienne
qui émerge à la fin des 80s. Les locaux surnomment l'endroit
St Tube. Je dois également ajouter que c'est le mois de
septembre, peut-être la meilleure époque pour le surf par
ici grâce à l'arrivée régulière de houles de SW créées par
les premiers cyclones qui traversent l'Atlantique nord. Et à
cette saison la mer est à 18°C, une température tropicale
aux standards bretons.
J'accepte bien sûr le job sans aucune autre contrepartie (il
s'avérera même qu'au final nous serons rétribués par la
bénie mère d'Alan au regard de la qualité de notre boulot)
et voilà que je vole au volant de ma 4L bleue ciel vers le
bout du Pen ar Bed.
Je connais l'endroit pour y avoir déjà passé du temps, scoré
des sessions remarquables, et je m'y sens comme à chaque
fois immédiatement à l'aise. Côté boulot, ce n'est pas de 3
malheureux volets dont il s'agit mais de grandes et lourdes
persiennes couvrant toutes les ouvertures dont plusieurs
portes-fenêtres. L'ampleur du boulot ne nous effraie ni Alan
ni moi, on a du temps à revendre, d'autant plus que la mère
d'Alan a choisi une couleur qui me ravit, de blanc défiguré
nous les peindrons bleu gauloises, de l'exacte couleur des
paquets de cigarettes - précisons que la mère d'Alan,
peintre et fumeuse, a beaucoup de goût.
Très rapidement on se met au boulot, il faut commencer par
décaper puis poncer la trentaine de persiennes, dont
certaines en si mauvais état qu'il faut l'aide du rabot du
menuisier (et du menuisier lui-même) pour les retaper.
Le temps est au beau fixe, anticyclonique, il fait chaud. On
est torse poil dehors à poncer à la main ces morceaux de
bois. La répétition des gestes, le crissement du papier de
verre sur le bois me calment rapidement puis me bercent, je
vais nager en fin de journée, je suis décontracté, je me
sens léger.
Le troisième jour alors que nous achevons le ponçage une
belle houle longue arrive. Le soleil est toujours présent,
le vent est off shore léger, 2 mètres tubulaires déroulent
parfaitement face à nous sans personne à l'eau. Le seul
problème c'est nous ne pouvons pas y aller. La mère d'Alan
est là et nous surveille. Elle compte sur nous pour
commencer la peinture dès le lendemain matin et veut s'
assurer que nous sommes sur la bonne voie avant de bien
vouloir nous laisser seuls. On peste on rage on essaye de
penser à autre chose de fixer notre attention sur le bois,
poncer rhhaaa poncer encore mais on n'en peut plus, on fume
clope sur clope luisants sous le soleil et on ne peut s'
empêcher de lâcher des râles de souffrance dès qu'un set
déroule, vierge. En début de soirée la marée finit par être
trop basse, ça ne marche plus aussi bien et nous sommes
soulagés, enfin.
Bien entendu le lendemain matin dès que la mère d'Alan met
un pied dans sa voiture on se rue sur nos combards et on se
précipite surfer le reste de houle encore présente. Il y a
1m20 d'une perfection qui nous coupe le souffle, nous sommes
2 à l'eau (on ne verra d'ailleurs qu'un seul autre type en
près de 2 semaines, mais nous n'avons pas poussé le vice
jusqu'à lui demander ce qu'il foutait là), et c'est parti
pour se partager des épaules sans fin, du pic jusqu'au bord.
Un coup à toi Alan, vas-y, elle est trop belle celle-là, un
coup à moi. Il fait chaud, je prends de l'eau dans la 3/2
pour me rafraîchir et je me mets dès que possible quelques
instants à l'abri sous l'ombre de la lèvre. Au total nous
passons plus de 3 heures à surfer ou ramer non stop, ce qui
nous vide mais nous rend quasi hystériques, gonflés d'
énergie positive pour attaquer le laborieux travail de
peinture.
Nous nous installons dans l'atelier (avec vue directe et
permanente sur les vagues) où le sound blaster qui sert d'
autoradio à ma 4L crache Peter Tosh, Toots ou le Velvet à
longueur de journée. La monotonie s'installe vite à peindre
ces grands trucs de la même couleur, alors du coup on se met
à picoler des quantités astronomiques de bières en cannettes
alu qu'on s'amuse à empiler en attendant que les couches de
peinture sèchent. Au bout de quelques litres, et déjà 2
allers-retours au Leclerc voisin pour faire le plein, on
décide de se fixer un challenge à notre hauteur : atteindre
le plafond avec les boîtes vides avant la nuit. Une
troisième virée chez Leclerc plus tard nous atteignons notre
limite physiologique, mais toujours pas le plafond et en fin
de journée nous avons une légère tendance à faire n'importe
quoi. De peur de ruiner nos efforts on préfère aller faire n
'importe quoi ailleurs et en profiter pour aller nager à
poil dans le varech par exemple. On a du bleu gauloises
partout, des ongles de pied jusqu'aux cheveux, ce qui a
tendance à intriguer les rares gens que nous croisons,
notamment la caissière de chez Leclerc.
Dans les jours qui suivent plusieurs rituels s'installent et
les sessions, la bière, les couches de peinture et les
virées au bourg rythment nos journées. Parmi nos sorties
préférées dans le village : aller acheter du tabac et des
feuilles. Le bar tabac le plus proche rassemble l'
intégralité des ivrognes dégénérés du coin, il fait
immédiatement penser au bistrot de mercenaires de Star Wars
tellement les visages et les dialogues y sont étranges. Du
coup ça nous fait un trip à l'acide de 5mn tous les jours,
on aime bien même si ça nous fait un peu peur quand même,
notamment la patronne pour qui je redoute une attaque
cérébrale à tout instant vue son inquiétante manière de s'
exprimer, tout en raclements et en chuintements.
Autre rituel, la cueillette du petit matin. Au mois de
septembre on trouve sur les dunes de St Tube une quantité
astronomique de champignons, de pleurotes plus précisément.
C'est dans un demi sommeil pet-au-casqué que je déambule à l
'aube à la recherche de l'objet du délice, et je dois vous
avouer que je suis absolument minable à l'exercice. Je reste
stupéfait devant l'aisance et la célérité avec laquelle Alan
remplit son sac plastique, c'est très certainement génétique
me dis-je. N'étant pas d'un naturel très obstiné je décrète
que dès le sac d'Alan plein, c'est à dire le mien aux
trois-quarts vide, on rentre à la maison pour petit
déjeuner. C'est là, à St Tube, que j'ai pris parmi les
meilleurs petits déjeuners de ma vie assis sur la pelouse,
face aux vagues, une omelette au pleurotes et un bol de café
devant moi, à me demander si ça vaut le coup d'aller surfer
maintenant ou s'il vaut mieux attendre que la marée monte
encore un peu.
Après une bonne semaine et plusieurs couches de peinture on
commence à voir la fin et on décide de fêter ça, d'autant
que nos corps n'ont plus leur dose d'adrénaline et d'
endorphines à cause d'un début de manque de vagues. En fait
de surf nous n'avons eu le droit qu'à la belle houle
déclinante du début qui a duré 2 ou 3 jours puis ensuite
quelques petites sessions de temps en temps. Il faut dire
aussi que nous n'avons pas la force de prier Huey avec
beaucoup de conviction. Par le passé Huey, que nous nommions
Warlala à l'époque, nous avait pourtant déjà récompensé d'
une session sublime sur ce même spot après 2 semaines de
flat grâce au sacrifice d'une partie de nos foies et de
notre raison. Donc je vous disais que c'est un soir de fête,
on se fait beau en mettant un T shirt propre et en lavant à
l'acétone nos corps tannés, et après un dîner grand luxe
(pizza à emporter correcte et bouteille de Chianti à gerber)
on se dirige vers le bar où il faut aller. On retrouve dans
ce troquet quelques surfers locaux qu'Alan connaît et c'est
parti pour se raconter des sessions toute la nuit.
Aiguillonnés par les tournées de bière et les pauses
récréatives en terrasse, c'est à celui qui racontera sa plus
grosse vague, son plus beau tube, sa plus grosse bouffe, le
reef le plus mortellement acéré, enfin je suppose que vous
connaissez comme moi ce genre de discussion qui s'achève
lorsqu'on ne comprend plus ce que le type en face de vous
raconte et qu'on finit par hocher la tête mécaniquement sans
plus rien écouter d'autre que le délire de sa petite voix
intérieure avant de sombrer dans un coma bien mérité.
Nous nous réveillons bien sûr la tête à l'envers, sans se
souvenir du quand ni du comment nous sommes rentrés, et d'un
commun (et muet) accord, nous décidons de ne rien faire
aujourd'hui. Alan en profite pour écouter en boucle Ziggy
Stardust qu'il découvre et notamment « Rock & Roll Suicide »
qu'il repasse une bonne vingtaine de fois dans l'après midi
en fumant doucement. Pendant ce temps là j'ai repéré un pic
qui fonctionne sur la gauche de la plage et alors que la
marée est haute je m'éclate sur le shore break qui envoie
des belles petites gauches bien tendues. Je vais même
chercher Alan pour le forcer à me rejoindre, il m'en
remercie encore tellement cette session le ravigore.
Le travail de finition se révèle assez rapide et nous
vérifions une fois de plus que les bonnes choses ont
toujours une fin (pour les mauvaises on en est bizarrement
moins sûr) car le surlendemain on a beau chercher, mais il
ne reste plus rien à poncer ou à peindre, tout est bleu, et
beau. Nous sommes dans un état bizarre, pas encore orphelins
de la magie de cet endroit mais déjà ailleurs, il nous est
difficile de ne pas nous demander quand nous pourrons bien
encore passer du temps ici, libres, aussi libres que les
vagues qui nous ont accompagnées pendant ces 2 semaines. Le
spleen l'emporte lorsque je ferme la barrière derrière moi
et j'ai conscience que je viens de vivre quelque chose dont
je me souviendrai longtemps, sinon toujours.

Plus de 8 ans après, je téléphone à Alan pour d'une part lui
faire relire ce que je viens de vous livrer et recueillir
ses commentaires, mais aussi et surtout pour discuter de
surf et de St Tube, comme à chaque fois qu'on se parle. Il m
'apprend que les volets sont à refaire complètement, de
nouveau.


@lex</HTML>
St Tube 93
@lex (Adresse IP journalisée) - sam. 23 février 2002 19:24:39

<HTML>St Tube 93

L'été 1993 commence bien : j'ai conquis mon diplôme d'
ingénieur à la sueur de mon front ennuyé et j'ai un plan
pour partir en coopération à l'étranger en septembre. Mieux
encore, j'ai 2 bons mois devant moi et suffisamment d'argent
gagné comme stagiaire pour les occuper de manière
intéressante. Bien entendu je ne peux pas m'empêcher d'en
claquer rapidement une bonne partie en me perdant dans l'
exubérante scène perrosienne du début de l'été (Perros
Guirec, Côtes d'Armor : 8000 âmes l'hiver, 60000 l'été, ses
plages, ses bars et son crachin). J'établis mes quartiers
dans les troquets et les boîtes de la côte qui regorgent de
touristes hollandaises, parisiennes ou anglaises, toutes
plus intéressantes les unes que les autres. Je vis de 16h à
8h00, j'en profite beaucoup, puis un peu trop, et la
saturation guette mon organisme et mon esprit. L'idée de ce
trip vers le sud dont on parle depuis longtemps avec Alan me
démange de plus en plus. Envie de prendre la route, de me
vautrer au soleil après avoir surfé de vraies vagues, lassé
de ces infâmes daubes estivales qui viennent finir leur
courte vie, exténuées, sur les rivages embrumés du nord de
la Bretagne.
Direction le Portugal fin Juillet.
Alan et moi mettons les planches sur le toit de sa vieille
Polo, et avant de retrouver deux potes à Hossegor (qui
viennent de Nîmes en 4L) pour tracer en convoi vers l'
Espagne et le Portugal en suivant la côte, nous faisons un
petit détour vers un moulin du Limousin à l'occasion d'un
quadruple anniversaire.
La fête et le trip qui s'en suivit mériteraient plusieurs
pages à eux seuls, je me limiterai à vous signaler que ce
voyage remplit toutes ses promesses de sorties, de galères
et de vagues, avec en particulier pour Alan et moi le
souvenir inoubliable d'une session magnifiquement
inquiétante à 2 dans un Buarcos 3 mètres parfait.
Non, ce dont je veux vous parler c'est de mon retour un peu
précipité début septembre en Bretagne avec l'espoir déçu de
débuter ma coopération qui, on me l'apprend, est retardée de
plusieurs mois. Du coup j'ai du temps devant moi, mais
presque plus d'argent. Un quatre septembre triste comme la
pluie : mes 22 ans arrosés à la Jenlain avec Alan, Blaise et
Franck devant un porno qui n'intéresse personne. Je déprime
vaguement, d'autant que ma relation avec une charmante jeune
fille de Crozon finit par m'endetter puis tourner en eau de
boudin.
Et le surf est zéro.
Alan glande chez lui à Perros, il attend sa rentrée
d'étudiant en Octobre à Paris, mais grâce à lui et plus
particulièrement à sa mère, les choses vont prendre une
toute autre tournure.
Les parents d'Alan ont une maison de rêve au bout du
Finistère, une petite maison de pêcheurs au confort
rudimentaire, posée seule sur une dune face à l'océan. Les
persiennes de ce genre de maison souffrent énormément de
l'eau et du sel, et on se voit proposer par la mère d'Alan
un contrat pour leur réfection. Le deal c'est décapage
ponçage peinture et traitement des ferrures en échange du
gîte et couvert pendant la durée des travaux. Rien que
l'idée d'aller se changer les idées au grand air dans un tel
cadre paraît stimulante, mais je dois maintenant vous
préciser une chose somme toutes assez importante : cette
maison est située face à un des meilleurs beach breaks de
Bretagne.
C'est sur ce spot qu'Alan a appris à surfer et c'est la
raison pour laquelle il surclasse la scène surf perrosienne
qui émerge à la fin des 80s. Les locaux surnomment l'endroit
St Tube. Je dois également ajouter que c'est le mois de
septembre, peut-être la meilleure époque pour le surf par
ici grâce à l'arrivée régulière de houles de SW créées par
les premiers cyclones qui traversent l'Atlantique nord. Et à
cette saison la mer est à 18°C, une température tropicale
aux standards bretons.
J'accepte bien sûr le job sans aucune autre contrepartie (il
s'avérera même qu'au final nous serons rétribués par la
bénie mère d'Alan au regard de la qualité de notre boulot)
et voilà que je vole au volant de ma 4L bleue ciel vers le
bout du Pen ar Bed.
Je connais l'endroit pour y avoir déjà passé du temps, scoré
des sessions remarquables, et je m'y sens comme à chaque
fois immédiatement à l'aise. Côté boulot, ce n'est pas de 3
malheureux volets dont il s'agit mais de grandes et lourdes
persiennes couvrant toutes les ouvertures dont plusieurs
portes-fenêtres. L'ampleur du boulot ne nous effraie ni Alan
ni moi, on a du temps à revendre, d'autant plus que la mère
d'Alan a choisi une couleur qui me ravit, de blanc défiguré
nous les peindrons bleu gauloises, de l'exacte couleur des
paquets de cigarettes - précisons que la mère d'Alan,
peintre et fumeuse, a beaucoup de goût.
Très rapidement on se met au boulot, il faut commencer par
décaper puis poncer la trentaine de persiennes, dont
certaines en si mauvais état qu'il faut l'aide du rabot du
menuisier (et du menuisier lui-même) pour les retaper.
Le temps est au beau fixe, anticyclonique, il fait chaud. On
est torse poil dehors à poncer à la main ces morceaux de
bois. La répétition des gestes, le crissement du papier de
verre sur le bois me calment rapidement puis me bercent, je
vais nager en fin de journée, je suis décontracté, je me
sens léger.
Le troisième jour alors que nous achevons le ponçage une
belle houle longue arrive. Le soleil est toujours présent,
le vent est off shore léger, 2 mètres tubulaires déroulent
parfaitement face à nous sans personne à l'eau. Le seul
problème c'est nous ne pouvons pas y aller. La mère d'Alan
est là et nous surveille. Elle compte sur nous pour
commencer la peinture dès le lendemain matin et veut s'
assurer que nous sommes sur la bonne voie avant de bien
vouloir nous laisser seuls. On peste on rage on essaye de
penser à autre chose de fixer notre attention sur le bois,
poncer rhhaaa poncer encore mais on n'en peut plus, on fume
clope sur clope luisants sous le soleil et on ne peut s'
empêcher de lâcher des râles de souffrance dès qu'un set
déroule, vierge. En début de soirée la marée finit par être
trop basse, ça ne marche plus aussi bien et nous sommes
soulagés, enfin.
Bien entendu le lendemain matin dès que la mère d'Alan met
un pied dans sa voiture on se rue sur nos combards et on se
précipite surfer le reste de houle encore présente. Il y a
1m20 d'une perfection qui nous coupe le souffle, nous sommes
2 à l'eau (on ne verra d'ailleurs qu'un seul autre type en
près de 2 semaines, mais nous n'avons pas poussé le vice
jusqu'à lui demander ce qu'il foutait là), et c'est parti
pour se partager des épaules sans fin, du pic jusqu'au bord.
Un coup à toi Alan, vas-y, elle est trop belle celle-là, un
coup à moi. Il fait chaud, je prends de l'eau dans la 3/2
pour me rafraîchir et je me mets dès que possible quelques
instants à l'abri sous l'ombre de la lèvre. Au total nous
passons plus de 3 heures à surfer ou ramer non stop, ce qui
nous vide mais nous rend quasi hystériques, gonflés d'
énergie positive pour attaquer le laborieux travail de
peinture.
Nous nous installons dans l'atelier (avec vue directe et
permanente sur les vagues) où le sound blaster qui sert d'
autoradio à ma 4L crache Peter Tosh, Toots ou le Velvet à
longueur de journée. La monotonie s'installe vite à peindre
ces grands trucs de la même couleur, alors du coup on se met
à picoler des quantités astronomiques de bières en cannettes
alu qu'on s'amuse à empiler en attendant que les couches de
peinture sèchent. Au bout de quelques litres, et déjà 2
allers-retours au Leclerc voisin pour faire le plein, on
décide de se fixer un challenge à notre hauteur : atteindre
le plafond avec les boîtes vides avant la nuit. Une
troisième virée chez Leclerc plus tard nous atteignons notre
limite physiologique, mais toujours pas le plafond et en fin
de journée nous avons une légère tendance à faire n'importe
quoi. De peur de ruiner nos efforts on préfère aller faire n
'importe quoi ailleurs et en profiter pour aller nager à
poil dans le varech par exemple. On a du bleu gauloises
partout, des ongles de pied jusqu'aux cheveux, ce qui a
tendance à intriguer les rares gens que nous croisons,
notamment la caissière de chez Leclerc.
Dans les jours qui suivent plusieurs rituels s'installent et
les sessions, la bière, les couches de peinture et les
virées au bourg rythment nos journées. Parmi nos sorties
préférées dans le village : aller acheter du tabac et des
feuilles. Le bar tabac le plus proche rassemble l'
intégralité des ivrognes dégénérés du coin, il fait
immédiatement penser au bistrot de mercenaires de Star Wars
tellement les visages et les dialogues y sont étranges. Du
coup ça nous fait un trip à l'acide de 5mn tous les jours,
on aime bien même si ça nous fait un peu peur quand même,
notamment la patronne pour qui je redoute une attaque
cérébrale à tout instant vue son inquiétante manière de s'
exprimer, tout en raclements et en chuintements.
Autre rituel, la cueillette du petit matin. Au mois de
septembre on trouve sur les dunes de St Tube une quantité
astronomique de champignons, de pleurotes plus précisément.
C'est dans un demi sommeil pet-au-casqué que je déambule à l
'aube à la recherche de l'objet du délice, et je dois vous
avouer que je suis absolument minable à l'exercice. Je reste
stupéfait devant l'aisance et la célérité avec laquelle Alan
remplit son sac plastique, c'est très certainement génétique
me dis-je. N'étant pas d'un naturel très obstiné je décrète
que dès le sac d'Alan plein, c'est à dire le mien aux
trois-quarts vide, on rentre à la maison pour petit
déjeuner. C'est là, à St Tube, que j'ai pris parmi les
meilleurs petits déjeuners de ma vie assis sur la pelouse,
face aux vagues, une omelette au pleurotes et un bol de café
devant moi, à me demander si ça vaut le coup d'aller surfer
maintenant ou s'il vaut mieux attendre que la marée monte
encore un peu.
Après une bonne semaine et plusieurs couches de peinture on
commence à voir la fin et on décide de fêter ça, d'autant
que nos corps n'ont plus leur dose d'adrénaline et d'
endorphines à cause d'un début de manque de vagues. En fait
de surf nous n'avons eu le droit qu'à la belle houle
déclinante du début qui a duré 2 ou 3 jours puis ensuite
quelques petites sessions de temps en temps. Il faut dire
aussi que nous n'avons pas la force de prier Huey avec
beaucoup de conviction. Par le passé Huey, que nous nommions
Warlala à l'époque, nous avait pourtant déjà récompensé d'
une session sublime sur ce même spot après 2 semaines de
flat grâce au sacrifice d'une partie de nos foies et de
notre raison. Donc je vous disais que c'est un soir de fête,
on se fait beau en mettant un T shirt propre et en lavant à
l'acétone nos corps tannés, et après un dîner grand luxe
(pizza à emporter correcte et bouteille de Chianti à gerber)
on se dirige vers le bar où il faut aller. On retrouve dans
ce troquet quelques surfers locaux qu'Alan connaît et c'est
parti pour se raconter des sessions toute la nuit.
Aiguillonnés par les tournées de bière et les pauses
récréatives en terrasse, c'est à celui qui racontera sa plus
grosse vague, son plus beau tube, sa plus grosse bouffe, le
reef le plus mortellement acéré, enfin je suppose que vous
connaissez comme moi ce genre de discussion qui s'achève
lorsqu'on ne comprend plus ce que le type en face de vous
raconte et qu'on finit par hocher la tête mécaniquement sans
plus rien écouter d'autre que le délire de sa petite voix
intérieure avant de sombrer dans un coma bien mérité.
Nous nous réveillons bien sûr la tête à l'envers, sans se
souvenir du quand ni du comment nous sommes rentrés, et d'un
commun (et muet) accord, nous décidons de ne rien faire
aujourd'hui. Alan en profite pour écouter en boucle Ziggy
Stardust qu'il découvre et notamment « Rock & Roll Suicide »
qu'il repasse une bonne vingtaine de fois dans l'après midi
en fumant doucement. Pendant ce temps là j'ai repéré un pic
qui fonctionne sur la gauche de la plage et alors que la
marée est haute je m'éclate sur le shore break qui envoie
des belles petites gauches bien tendues. Je vais même
chercher Alan pour le forcer à me rejoindre, il m'en
remercie encore tellement cette session le ravigore.
Le travail de finition se révèle assez rapide et nous
vérifions une fois de plus que les bonnes choses ont
toujours une fin (pour les mauvaises on en est bizarrement
moins sûr) car le surlendemain on a beau chercher, mais il
ne reste plus rien à poncer ou à peindre, tout est bleu, et
beau. Nous sommes dans un état bizarre, pas encore orphelins
de la magie de cet endroit mais déjà ailleurs, il nous est
difficile de ne pas nous demander quand nous pourrons bien
encore passer du temps ici, libres, aussi libres que les
vagues qui nous ont accompagnées pendant ces 2 semaines. Le
spleen l'emporte lorsque je ferme la barrière derrière moi
et j'ai conscience que je viens de vivre quelque chose dont
je me souviendrai longtemps, sinon toujours.

Plus de 8 ans après, je téléphone à Alan pour d'une part lui
faire relire ce que je viens de vous livrer et recueillir
ses commentaires, mais aussi et surtout pour discuter de
surf et de St Tube, comme à chaque fois qu'on se parle. Il m
'apprend que les volets sont à refaire complètement, de
nouveau.


@lex


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RE: St Tube 93
Presles (Adresse IP journalisée) - lun. 25 février 2002 13:54:33

<HTML>[PRESLES Arnaud] Bravo alex pour ce report nostalgique

[PRESLES Arnaud] et qui va repeindre les volets cette annee ?

Arnaud



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Re: St Tube 93
@lex (Adresse IP journalisée) - lun. 25 février 2002 14:06:07

<HTML>> [PRESLES Arnaud] et qui va repeindre les volets cette
annee ?

Hmm, bonne question... Je vais tâcher d'aller consulter la
liste d'attente...
;-)

@lex


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